[ce billet est la traduction d’un article que j’ai écrit en anglais pour une newsletter européenne à sortir dans quelques jours et dont je vous parlerai plus longuement dans un prochain billet]

 

Depuis plus de 25 ans, les outils de collaboration asynchrones ont été utilisés par des milliers d’entreprises dans le monde entier. Les technologies ont évolué depuis Lotus Notes jusqu’aux environnements collaboratifs en self-service sur le Web tels que eRoom, SharePoint ou QuickPlace, pour ne citer que les plus populaires. Et aujourd’hui il y a des douzaines de tels produits. Quel est le feedback d’une telle diffusion ? Les employés travaillent-ils mieux dans leur vie quotidienne ? Tous les employés utilisent-ils des outils collaboratifs à leur bureau ?

La réponse est NON ! L’outil collaboratif le plus utilisé reste toujours le système de messagerie électronique… Pourquoi ? Parce que l’e-mail est une manière non structurée d’envoyer et de partager de l’information ; un système immédiat et sans effort. Or quand vous permettez aux personnes et aux équipes de travailler avec de puissants outils collaboratifs, vous remarquez que cela leur prend du temps pour intégrer ces outils dans leur vie quotidienne.

La raison en est la longueur de la courbe d’adoption, parce que cela prend du temps de changer les habitudes de travail pour passer à une méthode plus structurée et disciplinée. Si l’entreprise est bien organisée et ses processus bien définis, documentés et gérés, l’adoption des outils collaboratifs est mieux organisée et plus rapide puisque ceux-ci mènent et soutiennent les processus.

Mais ceci n’est pas le cas le plus fréquent. La majorité des grandes entreprises et des PME ne sont pas si bien organisées et un nombre important d’employés travaillent encore à partir d’une connaissance informelle. Obliger ces employés à structurer cette connaissance informelle à travers un outil collaboratif est un réel défi.


Ce problème n’existe pas avec les outils collaboratifs synchrones, parce qu’ils sont basés sur une communication en temps réel et qu’ils ne nécessitent de construire aucune structure. Mais même ces outils ne sont pas si répandus que ça dans les grandes entreprises. Ce manque d’usage des outils synchrones sera résolu par une approche pragmatique de la hiérarchie quand il sera évident que la sécurité peut être gérée et que la productivité est réellement meilleure en utilisant ces outils.

Cependant résoudre le problème de l’adoption des outils asynchrones sera beaucoup plus difficile, et ce qui suit montre pourquoi il est si important de changer notre façon de penser la collaboration, parce que ce sujet pourrait être l’un des plus importants changements organisationnels des entreprises dans les prochaines années.

Les outils de la Collaboration ont-ils amélioré l’organisation des grandes entreprises ?

Un fait établi maintenant est que dans la plupart des entreprises qui utilisent des outils collaboratifs, l’organisation n’a pas évolué. Il devrait être évident qu’en introduisant de tels outils dans les entreprises, des changements organisationnels majeurs devraient en résulter. Pourquoi ? Parce que ces outils permettent aux personnes d’être plus interconnectées, de capitaliser l’information, de travailler de manières transversale plutôt que verticale, de nécessiter moins de management hiérarchique, en d’autres termes d’être plus productives et créatives.

Comme nous le montrent tous les retours d’expérience accumulés ces dernières années, le problème essentiel est que ces outils de collaboration s’adaptent finalement aux règles des organisations existantes et non l’inverse. En fait les outils collaboratifs sont utilisés comme des « fournisseurs », des facilitateurs parfois, et non comme des leveurs de freins changeant radicalement le comportement des individus. Ce sont simplement des promoteurs.

A l’opposé, l’expérience extraordinaire la plus récente dans ces domaines est l’émergence du paradigme Web 2.0 avec la naissance d’une génération de nouveaux outils participatifs et la création d’énormes communautés sociales et de contenus générés par les utilisateurs. La blogosphère est partie de rien en 2001 pour arriver à plus de 70 millions de blogs en 2006, doublant tous les six mois jusqu’à maintenant. Les réseaux tels que mySpace ont touchés 100 millions d’utilisateurs en 3 ans, et le contenu généré par les utilisateurs des sites Web tels que YouTube a atteint 100 millions de vidéos vues par jour en moins de 2 ans ! Il n’est pas possible de rester impassible devant ce phénomène. Est-ce un simple changement dans le domaine du grand public ou cela peut-il aussi concerner les entreprises ? Pourquoi ces outils participatifs ont-ils un si grand impact alors que les outils collaboratifs ne l’ont pas ?

Il semble que la vague du Web 2.0 a réveillé une “attente humaine profonde des individus pour participer et faire entendre leurs voix” (Thomas Friedman, Le monde est plat, 2006). Les gens veulent participer, être impliqués et prendre part. C’est la raison pour laquelle les blogs, wikis et tous les sites Web de contenu généré par les utilisateurs ont autant de succès.

Participation contre Collaboration

Quelle est la réelle différence entre la participation et la collaboration ? Collaborer c’est “travailler ensemble, particulièrement dans un effort intellectuel conjoint; travailler ensemble vers un but commun” (Webster); Participer c’est “prendre part” (Webster) ou “se joindre à, faire partie, s’impliquer” (Wiktionary); Ce que cela signifie en premier lieu c’est que l’action de participation ne demande pas de « travailler ensemble », mais simplement une implication personnelle dans une action globale. Cela est plus facile pour la plupart des gens. “Travailler ensemble” peut se faire sans réfléchir à la nature du travail tandis que participer induit l’implication et c’est ce que les gens veulent, être impliqués dans la décision, y prendre part, même s’ils ne collaborent pas pleinement pour réaliser le travail.

Le blog est le meilleur exemple de cette nouvelle ère de la participation. L’origine du blog est égocentrique : c’est la capacité d’un être humain de publier ses propres pensées pour être lu par sa famille, ses amis et peut-être quelques utilisateurs inconnus d’Internet. Grâce à la possibilité de commenter et de faire des rétro-liens (trackback) sur les postes des autres blogueurs, un énorme réseau de liens s’est créé jour après jour. Dans ces liens, le plus important ce n’est pas les liens URL, mais les liens humains créés entre tous les bloggeurs grâce à ces deux mécanismes triviaux. Pas à pas, une intelligence collective a émergé de cette pile de blogs, sans aucune collaboration réelle, simplement par une participation active auto-organisée ! Ma conclusion est que le monde est en train de changer, non pas grâce aux technologies collaboratives, mais grâce aux technologies participatives qui ont soutenu la volonté de l’homme de s’impliquer activement dans son environnement.

Les conséquences pour les institutions et les hiérarchies sont énormes. Pour les institutions, c’est l’émergence du concept de la “démocratie 2.0”, une démocratie participative où le citoyen sera impliqué dans les décisions politiques à un niveau jamais atteint jusqu’à présent. Pour les hiérarchies, c’est la fin du management hiérarchique dans les entreprises parce que plus personne ne supportera de ne pas utiliser dans leur propre entreprise les outils que tout le monde utilise si efficacement dans sa vie privée. Même si les dirigeants des entreprises ne veulent pas introduire ces technologies participatives dans leurs entreprises, la pression de leurs employés sera un jour telle que personne ne pourra contenir cette vague.

La Participation, un bouleversement pour l’entreprise

La situation pour les entreprises est critique parce que, pour la première fois, le monde du grand public les précède en terme de nouveaux usages. Les outils participatifs, et même collaboratifs, sont maintenant utilisés tous les jours pas des dizaines, voire des centaines de millions de personnes de par la monde dans leur vie privée, changeant leurs habitudes et leurs façons de voir le monde et d’interagir. Les nouvelles générations, encore au lycée ou à l’université, ont grandi avec ces outils, ce qui n’est pas le cas de leurs parents qui sont aujourd’hui les employés de ces entreprises.

C’est un bouleversement qui s’annonce pour les entreprises. Les outils de collaboration n’ont pas réussi à changer les organisations et les mentalités, parce que ces outils ne font que faciliter le travail courant et s’adaptent en fait aux organisations établies, même si un faible pourcentage d’utilisateurs avancés profitent de ces nouveaux outils pour changer leur façon de travailler (e-travail, e-entreprise, …). Mais il est impossible pour la plupart des utilisateurs de s’impliquer complètement dans les processus collaboratifs de l’entreprise, alors que les outils participatifs offrent l’infrastructure technique nécessaire pour permettre à tous les employés de s’impliquer réellement, chacun à son niveau, dans les grandes ou petites décisions où ils peuvent avoir leur mot à dire. Comme dans la blogosphère, si l’entreprise est capable de gérer cette nouvelle organisation, une intelligence collective sera auto-générée, augmentant l’efficacité, la productivité et la créativité de chaque individu, de chaque équipe et finalement de l’entreprise toute entière.

Les technologies participatives sont pour tout le monde : chaque employé peut les utiliser, publier, commenter, interagir, partager, échanger, valider, interroger librement, sans aucune contrainte, simplement en suivant les règles et conventions décidées par l’entreprise. C’est la raison pour laquelle aujourd’hui la chose la plus importante à faire pour une entreprise est d’implanter immédiatement ces technologies participatives, en commençant par les blogs et les wikis, dans tous leurs services, avec toutes leurs équipes, permettant aux personnes de s’exprimer, d’interagir à travers des commentaires, de commencer à construire des interactions participatives et de créer, pas à pas, un véritable écosystème participatif. De cette façon, ce n’est pas seulement l’amélioration de son système d’information que l’entreprise va gagner dans cette évolution, ce sera une profonde implication de tous les acteurs de l’entreprise pour atteindre un but commun, améliorer les résultats et l’intelligence collective, et finalement leur collaboration mutuelle.

La participation est la clé;
La collaboration n’en sera que la conséquence naturelle.

10 thoughts on “De la Collaboration à la Participation ou vers l’Entreprise 2.0

  • Excellent. J’ai aussi constaté que les outils collaboratifs sont effectivement peu utilisés
    globalement (même sans mise en oeuvre de Workflow structurant). Vous postulez qu’ils sont trop
    structurants et que leur non-adoption provient de l’effort qu’ils nécessitent pour les utiliser.

    Peut-on imaginer que l’adoption des outils électroniques (collaboratifs / participatifs) est aussi liée
    à la dose de “ludique” qu’ils contiennent ? Par exemple, un univers virtuel (type Second
    life ou MPK20 de Sun) est beaucoup plus ludique pour travailler ensemble qu’une web conférence
    ou une base Notes.

    Par ailleurs, je m’interroge sur l’impact d’être authentifié dans les outils de l’entreprise : j’ai le
    sentiment que le fait de pouvoir interagir de manière anonyme (comme je le fais ici) permet de le
    faire de manière plus libre, sans crainte la redoutable identité numérique et le fait que si j’énonce
    une énormité cela me retombera potentiellement dessus. Un Responsable Ressources Humaines,
    m’a ainsi demandé un jour s’il était possible de créer un intranet RH anonyme, afin de permettre
    à près de 1500 managers de poser des questions de management d’équipe, sans craindre de se
    dévaloriser aux yeux de sa hiérarchie, de ses collègues ou de ses collaborateurs. En clair,
    n’est-on pas globalement plus participatif lorsque l’on sait ne pas redouter de représailles (en cas
    de propos non politiquement corrects) ?

    Anonyme + Ludique = Participation accrue ?

  • c’est très exactement ce que j’étais en train de penser quand j’ai lu le message de vazkor.
    Je ne suis pas une habituée de wiki et compagnie au contraire meme (comme la plupart des français) j’avoue
    que je suis obligée de me pousser pour en faire l’utilisation. Cela me parait rébarbatif, c’est moche, et
    désagréable car pas logique à utiliser, bref, tout sauf fun !
    Si en plus c’est nominatif alors ça rajoute aux inconvénients

  • @Vazkor: Vous avez raisons sur la dimension anonyme, elle peut-être un atout dans certaines situations, et il faudrait pouvoir la rendre possible au sein des SI participatifs, à condition de garder l équilibre. Car il faut quand même que les employés d une entreprise assument leur responsabilité et soient capables de prendre la parole sous leur nom. Je pense donc que l anonymat est à garder pour des procédures spéciales où il est nécessaire de recueillir des avis larges et éventuellement critiques, ou alors comme vous le dites dans des modules de elearning ou de support.

    @val: le wiki est effectivement rébarbatif de prime abord, mais le constat reste néanmoins celui d une adoption massive contrairement aux autres outils collaboratifs. Il faut donc se poser la question de savoir ce qui en est la cause. Rébarbatif, mais simple. On pourrait donc penser que si on améliore le coté rébarbatif en gardant le coté simple, on pourrait avoir de meilleurs wikis. Je pense que c est le challenge des éditeurs de wiki des années à venir.

    Sinon concernant le coté nominatif, il faut aussi voir l autre moitié du verre vide (ou plein) : cela permet à beaucoup d’employés jusqu’à présent inaudibles de commencer à se faire entendre et d’exister auprès de leurs collègues et de leur hiérarchie, tout simplement en donnant leur avis, souvent pertinent, et en mettant en valeur leur compétences qui parfois se trouvaient rabaissées par la pression hiérarchique. Donc beaucoup d’employés voient une libération dans le coté nominatif de ces nouveaux systèmes, et ça il ne faut pas l’oublier…

  • @Miguel : J’adhère au fait que de participer sous sa vraie identité puisse de révéler au final motivant, puisque la compétence et la participation (pour ne pas parler tout de suite de collaboration) sera explicite et valorisée. C’est par exemple la phylosophie d’une solution comme celle de BlueKiwi.
    Par contre, j’ai l’impression que cela dépend aussi beaucoup de la maturité des organisations. De mon constat, une très faible part des entreprises (au moins en France) est prête à tenter des expériences collaboratives, et la méfiance à l’égard des outils, de leur usage et de ce que le management en fera, est souvent un frein puissant. D’où l’idée première qui vient à l’esprit de ceux qui découvrent ces nouveaux outils, de les offrir en mode anonyme. Nous sommes d’accord que ce n’est guère une solution viable, soit à cause des débordements possibles, soit parce que cela ne participe pas à valoriser les contributeurs, soit au contraire parce que les contributeurs qui deviennent “célèbres” sous un pseudo finissent par se révèler au grand jour, d’eux-même ou à force d’indiscretions :-))
    Au passage, je lis souvent que Lotus Notes a été un calvaire pour certains adeptes du wiki, alors que l’on peut facilement faire de Notes un outil “wiki like” beaucoup plus puissant et agréable à utiliser que n’importe quel outil web… comme quoi, n’importe quelle techno, mal utilisée, peut en dégouter plus d’un !
    Je comprends Val et son peu d’estime pour les wikis. Tous ne sont pas assez fonctionnels (pour ne pas dire pauvres), et les contraintes pour ajouter une image ou un fichier (contrairement au simple copié-collé dans word ou dans un doc Lotus Notes) peuvent en rebuter plus d’un…

  • à partir du moment où la collaboration est simple, elle est utilisée. Les fonctions collaboratives par exemple de Google Docs sont immédiatement prises en main par n’importe quelle personne. Donc les gens se mettent à collaborer sans problème dans un tel contexte et à permettre aux uns et aux autres de venir modifier leurs documents (si telle est leur volonté). Je pense donc qu’actuellement les outils de collaboration n’étaient pas assez “naturels”. Il se trouve que le wiki, malgré son coté rébarbatif de prime abord, semble correspondre à ce critère de simplicité, mais personnellement je pense qu’il y a encore beaucoup à faire pour avoir un wiki vraiment end-user…

    Concernant Lotus Notes, j’en suis un fervent admirateur et je l’utilise toujours, car je pense que sa conception, remontant pourtant à avant les années 90, est toujours uptodate en terme aussi bien de bureautique que de collaboration. Mais les entreprises n’ont rien sû en faire et l’ont même obligé à aller vers une voie de garage. Avec le recul, je pense qu’en fait ni les organisations, ni les individus n’étaient encore collectivement mûrs pour adopter des outils collaboratifs. Et avec le temps l’environnement Lotus est devenu trop complexe, sans parler de ce qu’en a fait IBM avec en plus WebSphere, une véritable usine à gaz que personne n’a envie d’adopter…

    Mais j’utilise toujours le client Notes à titre personnel, aussi bien pour la messagerie que pour tout un tas de bases documentaires que je me suis constitué tout au long de ces années, et qui sont toujours irremplaçables pour moi 🙂 Surtout que je peux travailler à la fois off line et online, et que j’ai les mêmes données répliquées sur mes différents ordinateurs répartis un peu partout. Je n’ai donc encore jamais réussi à remplacer le client Notes à 100%, mais cela à titre personnel, pour ma propre collaboration avec moi-même 😉 En ce qui concerne le travail en équipe, cela fait bien longtemp (2000 pour être précis) que j’ai basculé vers des systèmes plus simples, tels que mayeticVillage/Quickplace (maintenant devenu QuickR) puis vers les wiki (Netcipia), dont je ne peux plus me passer non plus…

  • Miguel, je vois qu’on partage les mêmes addictions. lol. Bon, pour info, j’ai vous ai cité dans une thèse que je soutiens dans quelques mois (Master Executive “Business Consulting” – ESCP-EAP / Supelec), et qui traite des outils collaboratifs comme support de l’agilité des organisations 🙂

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